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Des gagnants et des perdants

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6h, 6/06 : C’est la journée de la marmotte sur mon smart phone, tant les nouvelles se ressemblent invariablement. Les indices boursiers, du chômage, de l’inflation s’affolent, les perspectives de redressement s’effondrent à nouveau. L’expert du jour interpelé, explique que c’était prévisible bien que personne ne l’ait prévu…. Il fut un temps, désormais révolu, ou il existait d’autres ministères que celui de la parole, où la Politique consistait à faire et non à commenter…

Je m’évite pour ne pas gâcher mon petit déjeuner les derniers tweets à la mode de communicants ou d’imposteurs en mal de reconnaissance surfant sur la vague du « tremolo business » , ou de la fake-news en mode complotiste.

Sortir de chez soi devient une récompense, que l’on paye d’un QR code en mode « laissez passer les biens portants ». Mon téléphone se met à biper frénétiquement, les notifications s’enchaînent avec en rouge écarlate celle de suivi des malheureux infectés du COVID. Le bruit des notifications est en passe de devenir le métronome de nos vies.Toute rencontre ou échange se mue en danger potentiel, l’enfer devient autrui…L’indifférence, nouveau signe de barbarie insupportable, est cyniquement salvatrice sur la période.

J’arrive au cabinet, assez désert, télétravail et récession oblige en ces temps de virus à répétition. Petit rituel de l’arrivée, désinfection des poignées de porte sans oublier le clapet de la machine à café (que tout le monde touche et que personne ne désinfecte). Mes premiers clients se connectent. Pour certains, c’est l’histoire d’une vie qui s’effondre, d’une dignité qui s’étiole : avec toujours la même litanie, licenciements, fournisseurs impayés, faillite, la cessation d’activité, … Puis cela se poursuit, violences, divorce, pensions alimentaires impayées..…Trouver les mots pansements et les actions qui sauvent…`

Pour d’autres, le désastre s’est transformé en opportunités, entre rachat d’entreprises, numérisation des services, utilisation massive de données, de santé et de celles des territoires connectés, course à l’IA, dernière frontière à conquérir…Affiner le conseil pour rechercher de la valeur et du lien pour un environnement durable, écologique et sûr.

Ne pas être angélique, ni se résigner au côté sombre des comportements nous dit Pol-droit, il y aura toujours des gagnants et des perdants, de la solidarité, et du combat, de la guerre et de la paix , de l’amitié et de la lutte.

J’entends au loin le ronronnement d’un drone, acheté par la ville pour contrôler les flux et nos températures… Etre visible ou être suspect : les mouchards connectés ne laissent rien au hasard. Nos appareils électroniques, détournés de leurs fonctions premières, se dotent désormais de compétences sanitaires. Linky dénonce ses maîtres en mal de vacances en bord de mer.

Avec le déconfinement, notre civilisation en panne, le développement de la précarité et d’inégalités ont transformé le feu qui couvait en poudrière et en raisins de colère…Il fallait que tout change pour que rien ne change.

Désormais nous savons que la continuité est une illusion, notre croyance dans le progrès fragile. Notre monde est mort, le nouveau tarde à apparaître, ce qui passait pour délirant la veille devient la norme du lendemain. Nous vivons une époque tyrannique, puisque le propre de cette dernière est d’être imprévisible. Là où le droit permettait de prévoir, la crise dissout cette possibilité dans l’action de l’instant.

20h, je m’autorise à rentrer à pied pour « voir du monde ».  Quelle magnifique expression quand on s’y arrête « voir du monde ». E. Levinas avait donc raison, voir autrui est une fenêtre sur le monde, quand lui parler en face à face est déjà un privilège. Parée d’un masque, dernière promesse d’anonymat ou d’ombre, dans cette cité transparente, se perdre et/ou se retrouver est une possibilité …Fallait-il vraiment avoir « le goût de la mort en bouche » pour apprécier le goût des choses ?

Je pense enfin à la proposition du journal Boudu, qui me demande, en tant qu’Avocat, d’imaginer le monde de demain. Probablement que la réponse tiendra en quelques mots : Notre cause n’est pas de changer le monde, mais d’éviter qu’il ne se défasse…

PS : Un an plus tard, on criait sur tous les toits : Vaccin ! Vaccin ! Vaccin !

Tous nos écrans relayaient l’annonce des laboratoires et le discours des technocrates en place : grâce à « l’excellence » de nos institutions, le covid ne serait plus qu’un souvenir…et tous allaient pouvoir se livrer aux joies de la vaccination. Notre monde devint sentimental et pharmaceutique.

« Le vaccin se révéla d’une prodigieuse efficacité. En quelques jours l’humanité recouvra la santé et les accessoires de la santé : la violence, les vices, la bêtise… »