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Qu’est-ce que la neutralité du Net ?

Théorisé en 2003 par le juriste américain Tim Wu1, la neutralité du Net est un principe qui garantit l’exclusion de toute discrimination par le réseau en fonction de la source, de la destination ou du contenu des données transmises.

Ce principe s’explique par le fonctionnement et la philosophie initiaux de la technologie. L’Internet est neutre : l’intelligence se trouve au bout du réseau, chaque personne ayant vocation à créer et à émettre de l’information.
Du fait de sa simplicité, l’Internet est devenu un réseau global. Cette universalité a permis sa croissance au travers d’accords entre les opérateurs respectant quelques caractéristiques techniques.

Concrètement, des « paquets d’information » transitent sur le réseau (des serveurs de Netflix jusqu’à l’écran de l’abonné par exemple) grâce à une infrastructure de câbles et de fibres.
Le voyage n’est pas gratuit : il faut s’acquitter d’un droit de passage à l’entreprise qui possède les infrastructures. Chacun paie donc à des opérateurs de télécommunications (Orange, Bouygues, Free…) une certaine somme, qui permet de financer les investissements nécessaires au développement du réseau.

Pourquoi en parle

La Commission fédérale des communications (FCC), le régulateur américain des télécoms, a voté le jeudi 14 décembre 2017 par trois voix contre deux l’abrogation de la réglementation qui obligeait les fournisseurs d’accès à l’Internet (FAI) à traiter de la même manière tous les contenus passant par leurs réseaux.
Les FAI pourront ainsi proposer des offres d’accès Internet à la qualité de service fondée sur l’état du trafic (traitement privilégié en période de congestion), ou imposer des péages aux fournisseurs de contenus, pour que les abonnés profitent de vitesses de transmission optimales.

Les opérateurs de télécommunications voulaient mettre fin à la neutralité du Net arguant de la modernisation de leurs infrastructures, les services étant de plus en plus gourmands en quantité et en débit de données (le trafic global de données croît en moyenne de 20% par an 2).
En réalité, les FAI américains ont d’autant plus d’intérêt à voir la fin de la neutralité du Net qu’ils sont eux-mêmes créateurs de contenus (ComCast possède NBC Universal ; AT&T cherche à racheter le groupe Time Warner). Ils pourraient ainsi favoriser leurs propres créations au détriment de celles de leurs concurrents (Netflix, Amazon ou Apple). Ces derniers, par le biais de l’Internet Association, ont riposté le vendredi 5 janvier 2018 en annonçant leur intention de s’associer aux actions en justice visant à défendre la neutralité du Net aux États- Unis.

La fin de la neutralité du Net signifierait ainsi que les consommateurs pourraient avoir à faire des choix entre les services en fonction de la vitesse ou du prix d’accès au site et non de leur pertinence ou de leur utilité réelle.
Les FAI pourraient facturer de façon différenciée l’accès à des services de Vidéo à la demande (VOD) ou de presse concurrents. Il en va de même pour les services bancaires, par le biais de partenariats.

La situation en France et en Europe

En France, Le principe selon lequel les opérateurs doivent respecter l’intégrité des messages transportés est ancien3.
Le Conseil constitutionnel a également établi que la liberté d’expression et de communication impliquait la liberté d’accéder à Internet : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas détermines par la loi ; qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services » 4.

Le texte fondateur garantissant la neutralité du Net est européen5.
Neelie Kroes, Commissaire européen au numérique jusqu’en 2014, a défendu ce principe par la notion centrale en droit de l’Union Européenne de libre concurrence. Contrevenir à la neutralité du Net constituerait une forme d’abus de position dominante, les opérateurs étant alors en mesure d’organiser le marché des services en ligne à leur profit, mettant ainsi en danger la concurrence et l’innovation dans l’économie numérique.
L’article 3 du Règlement impose ainsi aux FAI de traiter « tout le trafic de façon égale et sans discrimination, restriction ou interférence, quels que soient l’expéditeur et le destinataire, les contenus consultés ou diffusés, les applications ou les services utilisés ou fournis ou les équipements terminaux utilisés ».
En France, la loi du 6 octobre 2016 pour une République numérique garantit l’accès à un « Internet ouvert », conformément aux principes posés dans le Règlement. C’est l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) qui s’assure du respect des principes essentiels pour garantir la neutralité du Net.
L’association des régulateurs des télécoms européens (l’ORECE) a publié le 30 septembre 2016 des lignes directrices, bien accueillies par les défenseurs de la neutralité du Net.

Ces dispositions n’empêchent pourtant pas certains opérateurs de porter atteinte au principe grâce à des pratiques situées en zone grise :

Le « zéro rating » permet un accès gratuit à certains sites ou certaines applications spécifiques, la consommation de données hors de cette offre spécifique étant payante. Plusieurs de ces offres sont actuellement en cours d’étude par les régulateurs en Europe.

Le fait que le consommateur soit soumis à la vente liée des opérateurs fixes (la box) et ne peut toujours pas opter pour l’équipement terminal de son choix et pouvoir contrôler la connexion au réseau pose également problème.

Une contagion à l’Europe de la décision américaine ?

Les FAI européens sont en train de mener une campagne de lobbying pour obtenir une réglementation semblable à celle dont bénéficie les FAI américains.
Ils soulignent « l’enjeu central de leur compétitivité face aux concurrents outre-Atlantique ». Stéphane Richard, le PDG d’Orange, a assuré, mardi 12 décembre 2017, que la fin de la neutralité du Net en Europe « est une obligation ». Il ne s’agirait pas, d’après lui, d’avoir un internet à deux vitesses, mais plutôt de préparer les réseaux à l’avènement de la technologie de l’Internet des objets. Les constructeurs de voitures autonomes, par exemple, auraient ainsi besoin d’un réseau plus rapide et plus solide que le consommateur pour ses loisirs.

Ainsi, bien que la neutralité du Net soit consacrée dans les textes en Europe, le débat n’est pas encore (tout à fait) tranché.

1In Journal of Telecommunications and HighTechnology Law
2 Cisco Visual Networking Index
3 Article L.32-1 II-5 du Code des postes et des communications électroniques
4 Décision 2009-580 DC du 10 juin 2009
5 Règlement du 25 novembre 2015 établissant des mesures relatives à l’accès à un internet ouvert (le Règlement)